Monastère des dominicaines de Lourdes

 

La face cachée de la vie des moniales

 

Annonce

 

Une rubrique de notre site vous présente divers aspects de la face cachée de la vie des moniales

Vous pouvez en retrouver le contenu dans un livre paru
aux Editions "Croix du Salut"

20 août

L'unité, la perle de grand prix

La grande question qui traverse toute la Bible, c’est l’unité ! C’est aussi l’enjeu essentiel de la vie des moniales. Chanter l’office, c’est bien ; prier, c’est bien ; faire des vœux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté, c’est bien ; etc. Mais s’il n’y a pas d’unité, tout cela n’est que du vent.
Si nous parcourons le livre de la Genèse, dès le chapitre 3, nous trouvons la division : l’entente entre Adam et Eve n’a pas duré ; elle a été mise à mal par le diable. Puis c’est Caïn qui tue son frère Abel ; puis c’est la tour de Babel et la dispersion des peuples qui perdent leur unité ; puis c’est la division entre Israël et Juda ; etc. Et qu’a fait Jésus ? Il est venu pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu disperser (Jn 11,52), pour ramener les cœurs des pères vers leurs enfants (Lc 1,17). Et au soir de la Cène, il a prié son Père : « Que tous soient un, Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17,21). Les moniales dominicaines sont rassemblées dans le monastère pour avoir une seule âme et un seul cœur tendus vers Dieu, comme le dit la Règle de saint Augustin, pour relever le défi de la désunion, de la division qui est la grande affaire de l’existence, pour les familles, pour la société, pour l’Eglise.
Travailler à l’unité, c’est un travail invisible que se concrétise dans la vie concrète par la pauvreté. Notre Règle encore, nous demande de ne rien avoir en propre, mais de tout avoir en commun. L’expérience montre que quand on possède quelque chose, la tentation est grande de vouloir le garder pour soi : mon bien est petit, peut-être, mais il est à moi ! Et le pas est vite franchi de vouloir agrandir son bien et alors commencent les discordes, car le voisin veut en faire autant…
La vie commune est donc un lieu idéal pour apprendre à tout posséder en commun, à ne rien garder comme « propriété privée » à laquelle personne n’a le droit de toucher. La propriété privée est source de disputes, et introduit des divisions.
Le cœur, par ces petits exercices concrets apprend, au fil des jours, à renoncer à soi-même, à accueillir l’autre, à partager, et à travailler par là à l’unité.

4 août

Le rosaire

Le Rosaire est une prière méconnue, confondue souvent avec la récitation du chapelet qui laisse, dans l'esprit de beaucoup, le souvenir de prières rabâchées. Pourtant la prière du Rosaire fait rentrer au cœur de la vie chrétienne, dans la prière même de Jésus à son Père, avec le regard de Marie qui conservait dans son cœur tout ce qu'elle avait vécu avec son Fils.
Le cœur de notre prière, comme de toute notre vie, est notre lien à Jésus. Mais le Christ ne s’atteint que dans son Mystère : il est l’envoyé du Père qui vient accomplir son dessein de salut. Nous le touchons quand nous entrons dans son œuvre de salut ; quand, au pied de la croix, nous recevons l’Esprit qui nous donne l’intelligence du Mystère ; quand nous entrons nous-mêmes dans une relation filiale avec le Père. « Mystère » désigne donc le mystère du salut, mais tous les actes de la vie du Christ, de son Incarnation à sa Pâque, ont été appelés « mystères ». Ceux-ci ont un sens caché qui se dévoile sous l’action de l’Esprit, comme lorsque Jésus expliquait les Écritures aux disciples d’Emmaüs. L’Esprit nous donne de saisir ce sens caché.
Chaque Mystère exprime l’amour : la charité du Père qui veut faire de nous des fils dans son Fils, et l’amour présent dans le cœur du Christ. Que désire le Christ d’ailleurs, sinon réaliser le dessein du Père, sa volonté ? Il est tendu vers sa Pâque, vers son passage vers le Père pour nous entraîner avec lui.

24 juillet

L'intercession

L’intercession nous décentre de nous-même et nous ouvre aux autres. C’est la traduction, dans la prière, du chemin parcouru au plus profond du cœur. La prière devient ainsi peu à peu missionnaire, elle s’élargit à la dimension du monde, sous la pression de la charité qui grandit dans le cœur. La prière s’ouvre alors sur l’humanité entière.
Cette prière de compassion se fonde sur la perception de l’Église comme Corps du Christ. Tous les baptisés forment le Corps du Christ, et sont donc membres les uns des autres. L’intercession jaillit de la conscience de cette solidarité : « Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui », confie saint Paul (1 Co 12,26). La compassion, l’intercession, la présence au monde, une parole partagée à l’occasion, sont les fruits de la contemplation. Le cœur purifié voit les autres avec les yeux de Dieu.
Au début de la vie spirituelle, la compassion est en partie liée à l’émotion face à la souffrance et aux besoins de l’autre ; l’intercession est prière pour les autres ; la présence au monde est en proportion de la connaissance qu’on a de ses besoins, de ses souffrances. La progression dans la vie contemplative transforme et approfondit tout cela, sans pour autant le supprimer.
Un verset du Cantique des Cantique l’exprime bien. L’époux dit à ses amis, en parlant des fruits produits par l’épouse, fruits de l’amour, fruits de son union au Verbe avec qui elle n’a plus qu’une seule volonté : « Mangez, amis, buvez et enivrez-vous, mes bien-aimés » (Ct 5,1). De la communion qui lie l’Époux et l’épouse, image de la communion trinitaire, naît le partage, la fécondité. Le bonheur de la contemplation n’enferme pas dans une solitude à deux. Tous sans exception, eux aussi « amis bien-aimés », sont invités à la joie des noces ; non comme simples spectateurs, mais comme convives. La communion avec le Verbe est ouverte à tous.
Ceci est vécu au maximum dans l’eucharistie qui, grâce au don de l’Esprit, est à la fois communion au Seigneur et entrée plus intense dans la communion ecclésiale. Ce que le Seigneur donne à l’un, il désire le partager avec tous. Plus l’amour habite le cœur, plus le Seigneur le communique à d’autres. L’amour reçu, accueilli, ne peut pas ne pas être partagé. Comment ? De l’union au Verbe, naît le désir de voir proches et lointains entrer dans le salut reçu ; il se traduit en demandes qui exercent sur lui une influence de poids à laquelle il ne peut résister. La racine de l’intercession est là : elle naît de l’union parfaite, de la totale réciprocité, de l’union des volontés.
De tels fruits se développent un jour, sur le terreau d’une lente transformation spirituelle favorisée par la vie cachée. Je pense volontiers que la participation des moniales à la mission de l’Ordre des Prêcheurs se situe dans ce lieu où Dieu ne peut rien refuser de ce qui lui est demandé.

3 juillet

Contemplation et étude

Accueil d’une présence, la contemplation suppose un éveil de l’intelligence, une capacité de connaître, car l’accueil des réalités qui nous sont présentes se fait aussi par la connaissance. Les êtres nous sont présents comme une invitation à une connaissance plus profonde ; ils sont présence et question. À cette question, je n’aurai jamais une claire réponse, car chaque être porte en lui beaucoup plus que je n’en perçois quand je le vois. Chacun porte en lui une grande richesse qui, pour une grande part, m’échappe : c’est un mystère que je ne pourrai jamais épuiser et qui pourtant aiguise ma curiosité de le connaître.
L’étude, qui est quête de la présence pour la pénétrer de plus en plus, apporte sa contribution à la croissance de la vie contemplative. Ainsi contempler, c’est voir, observer, mais aussi étudier, rechercher, lire. Par l’étude, notre intelligence s’élève au niveau de ce que nous regardons. La vie contemplative a donc son amorce dans la vie humaine, dans le simple fait de voir, d’entendre, de toucher, de ressentir. Mais elle est à approfondir. D’où l’importance du loisir qui permet de jouir de ce qui est beau, d’étudier, de réfléchir, de se former et de se cultiver soi-même.
Certains, au nom de l’égalité des hommes et des femmes, voudraient que les moniales reçoivent une formation semblable à celle des prêtres, à l’université ! Cela revient à dire qu’il doit y avoir une même formation pour tous, dans le milieu ecclésiastique. C’est comme si l’on décrétait qu’il faut une même formation pour tout le personnel du milieu hospitalier : médecins, infirmières, aides-soignants, etc. Or la finalité de l’étude n’est pas la même pour des moniales et pour des prêtres, et même pour des moines prêtres.
L’étude permet de pénétrer le mystère de Dieu, d’avoir une meilleure compréhension de l’Ecriture : elle est le soubassement de la lectio divina. C’est par elle que se met en œuvre notre recherche de la vérité. Or c’est la vérité connue qui nous fait grandir dans l’amour. L’étude est donc indispensable pour faire grandir l’unanimité de notre communauté.
Son utilité peut se résumer en trois points..
Elle purifie le cœur, elle le détourne de ce qui est mauvais pour le tourner vers la Vérité, vers Dieu.
Elle fait entrer dans la connaissance de Dieu : pour avoir l’intelligence des Livres saints, il faut penser juste.
Elle conduit, enfin, à la contemplation. L’étude contribue à mettre dans un état de tranquillité, de calme, condition essentielle de la prière.

26 juin

L'évangile, chemin de contemplation

En Jésus, la Parole se donne à voir avant de se donner à entendre. Nous entendons celui que nous voyons. Ceci concerne toute la vie de Jésus, depuis sa naissance à Bethléem jusqu’à son Ascension. Ensuite, à partir de la Pentecôte, c’est l’Esprit qui intériorise la présence du Seigneur dans les croyants et Jésus se donne à voir dans notre vie, dans nos frères, dans l’humanité, partout où l’Esprit est à l’œuvre.
Jésus ressuscité n’est pas dans le passé, il nous est contemporain : c’est lui que nous voyons et entendons lorsque nous lisons l’Évangile. L’Évangile devient chemin de contemplation, non quand on médite sur un texte, mais quand on regarde vivre des personnes.
Dans la contemplation, c’est la présence des personnages qui m’habite, qui me fait toucher quelque chose du mystère de Dieu ; ou bien, c’est écouter les paroles en en percevant l’intonation en quelque sorte ; c’est rencontrer le regard de Dieu, entendre sa parole, à travers tout cela. Il ne s’agit pas d’un effort pour entrer dans un texte, mais d’une passivité pour en être touché.
Il y a aujourd’hui un manque au niveau de l’intériorisation des mystères du Christ par la contemplation. D’où la place prise par l’adoration qui est une façon d’essayer de pallier à ce vide.
La contemplation du Christ, tout particulièrement en sa passion et sur la croix, donne peu à peu forme à notre désir de le suivre, le tire, transforme notre regard sur notre vie et son orientation même : on devient disciple. La contemplation de la vie du Christ nourrit notre vie, la remodèle de l’intérieur. Tout un ajustement est nécessaire cependant : c’est le rôle de l’ascèse, du travail sur soi.
La tentation existe de considérer les réalités concrètes de la vie comme un obstacle à cette contemplation. Elles semblent étrangères à l’expérience de Dieu. Mais en s’appuyant sur l’expérience faite dans la contemplation de l’amour du Christ découvert dans tous les mystères de sa vie, on essaie peu à peu d’agir en conformité avec ce qu’il a vécu dans les réalités du monde. Ces réalités sont le lieu des travaux pratiques ! Il y a la prière et son application, si l’on peut dire. Mais on aspire à avoir du temps pour revenir à ce qui apparaît l’essentiel.
Un jour vient, cependant, où l’on habite réellement en Dieu dans la réalité quotidienne, qui n’apparaît plus étrangère à Dieu. L’Écriture, en effet, n’est pas le seul lieu de la présence du Seigneur. Il n’a pas agi dans le passé, il continue à agir dans le présent, mais il faut faire du chemin pour que les yeux s’ouvrent et le découvrent.

19 juin

La parole, une boussole sur la route

En Jésus, la Parole se donne à voir avant de se donner à entendre. Nous entendons celui que nous voyons. Ceci concerne toute la vie de Jésus, depuis sa naissance à Bethléem jusqu’à son Ascension. Ensuite, à partir de la Pentecôte, c’est l’Esprit qui intériorise la présence du Seigneur dans les croyants et Jésus se donne à voir dans notre vie, dans nos frères, dans l’humanité, partout où l’Esprit est à l’œuvre.
Jésus ressuscité n’est pas dans le passé, il nous est contemporain : c’est lui que nous voyons et entendons lorsque nous lisons l’Évangile. L’Évangile devient chemin de contemplation, non quand on médite sur un texte, mais quand on regarde vivre des personnes.
Dans la contemplation, c’est la présence des personnages qui m’habite, qui me fait toucher quelque chose du mystère de Dieu ; ou bien, c’est écouter les paroles en en percevant l’intonation en quelque sorte ; c’est rencontrer le regard de Dieu, entendre sa parole, à travers tout cela. Il ne s’agit pas d’un effort pour entrer dans un texte, mais d’une passivité pour en être touché.
Il y a aujourd’hui un manque au niveau de l’intériorisation des mystères du Christ par la contemplation. D’où la place prise par l’adoration qui est une façon d’essayer de pallier à ce vide.
La contemplation du Christ, tout particulièrement en sa passion et sur la croix, donne peu à peu forme à notre désir de le suivre, le tire, transforme notre regard sur notre vie et son orientation même : on devient disciple. La contemplation de la vie du Christ nourrit notre vie, la remodèle de l’intérieur. Tout un ajustement est nécessaire cependant : c’est le rôle de l’ascèse, du travail sur soi.
La tentation existe de considérer les réalités concrètes de la vie comme un obstacle à cette contemplation. Elles semblent étrangères à l’expérience de Dieu. Mais en s’appuyant sur l’expérience faite dans la contemplation de l’amour du Christ découvert dans tous les mystères de sa vie, on essaie peu à peu d’agir en conformité avec ce qu’il a vécu dans les réalités du monde. Ces réalités sont le lieu des travaux pratiques ! Il y a la prière et son application, si l’on peut dire. Mais on aspire à avoir du temps pour revenir à ce qui apparaît l’essentiel.
Un jour vient, cependant, où l’on habite réellement en Dieu dans la réalité quotidienne, qui n’apparaît plus étrangère à Dieu. L’Écriture, en effet, n’est pas le seul lieu de la présence du Seigneur. Il n’a pas agi dans le passé, il continue à agir dans le présent, mais il faut faire du chemin pour que les yeux s’ouvrent et le découvrent.

12 juin

La prière continuelle

 

Prier sans cesse ! Le Christ, saint Paul et toute la tradition spirituelle, n’ont cessé de recommander la prière continuelle. Mais est-ce possible ? et comment y parvenir ? Dans un monastère, en effet, on a un horaire bien rempli : l’oisiveté n’est-elle pas la mère de tous les vices ? Plusieurs heures par jour sont consacrées à la prière, il est vrai ; mais comment prier sans cesse, quand on travaille à la cuisine, à l’atelier, à soigner des malades, et dans bien d’autres offices ?
C’est pourtant très simple. Il suffit de se poser une question : où va notre désir ? Qu’est-ce que nous aimons ? La prière naît de l’expérience d’un désir, désir qui est lui-même l’expression d’une absence. Lorsque ce désir est tendu vers Dieu, il devient parole adressée à Dieu, et donc prière, quelle que soit notre occupation.
Mais est-il sûr que notre désir soit toujours prière ? La vérification est simple : lorsque nous rentrons en nous-mêmes, qu’est-ce qui nous attire et nous captive ? Où va l’élan de notre être ? Bien souvent, nous ressemblons à la Samaritaine : notre désir recherche l’eau qui n’apaise pas notre soif, et non l’eau vive promise par Jésus.
La prière joue un rôle très important pour convertir notre désir des biens de ce monde, en désir du bonheur que Dieu veut nous donner. Comment ? En purifiant notre désir, en l’élargissant. Notre désir le plus profond, qui révèle le manque constitutif de notre être — notre besoin de Dieu —, est ainsi progressivement purifié et étendu, pour devenir de plus en plus capable de recevoir le Dieu qui seul peut le combler. Notre désir s’ajuste ainsi à la mesure du Dieu sans mesure. Et cette purification, cette extension, durent toute la vie !
Le désir, comme nous l’avons dit, traduit un manque ; il est le signe de l’inachèvement de notre être qui tend vers le bien qui lui manque pour atteindre sa plénitude, son bonheur. Insister sur le désir risquerait cependant de mettre au premier plan dans la prière, l’effort de l’homme en quête de son achèvement. Or Dieu nous a aimés le premier, gratuitement ; c’est Lui qui nous a appelés. Notre prière n’est qu’une réponse à son amour qui nous appelle.
L’amour de Dieu qui descend jusqu’au fond de notre misère pour éveiller notre désir, en faisant retentir sa voix à la porte de notre cœur, attend une réciprocité. Notre désir en quête de sa plénitude devra donc, pour être véritablement une prière continuelle, s’enraciner dans l’amour. En définitive, la prière continuelle est ce cœur à cœur que l’amitié établit entre Dieu et nous, ce cri de l’amour qui aspire à trouver son repos en Dieu. La charité, un perpétuel souvenir de Dieu, voilà ce qui met le cœur en état de prière continuelle. Mais une charité fervente qui crie sans cesse à Dieu son désir, suppose des dispositions intérieures.
Si nous gardons toujours présente à notre cœur la conscience de notre exil loin du Seigneur, notre désir de le rejoindre, de regagner enfin la patrie du bonheur, sera plus vif et ne nous quittera plus. La prière continuelle suppose un cœur désencombré, libre de toute attache, tendu en avant dans l’espérance.

2 juin

L'eucharistie, communion au Seigneur

« Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi » (Ct 6,3). Cette parole de la bien-aimée du Cantique des Cantiques est en consonnance avec la parole de Jésus à ses disciples, rapportée dans l’évangile de Jean : « Vous êtes en moi, et moi en vous » (Jn 14,20). Nous avons là le cœur du mystère de l’eucharistie : une possession mutuelle, le bonheur tranquille et sûr de la présence. Le Seigneur nous aime tellement qu’il veut être en nous. Le désir de l’amour n’est-il pas d’être transporté en celui qui est aimé pour ne faire plus qu’un avec lui ? Et Jésus a trouvé le meilleur moyen possible pour le faire : il a utilisé du pain qui se mange, qui se transforme en celui qui le mange. Lorsque nous communions, nous ne faisons plus qu’une même chose avec lui, comme lui-même l’a dit : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui » (Jn 9,26). N’ayant plus qu’un seul cœur et une seule âme avec lui, nous somme intégrés à son Corps, à l’Eglise ; notre vie est ainsi peu à peu configurée à la sienne.
Etant éloigné de nous depuis son Ascension auprès du Père, Jésus nous a laissé son sacrement de l’eucharistie pour que la séparation ne provoque pas un oubli… il connaît notre inconstance. Le proverbe ne dit-il pas : « Loin des yeux, loin du cœur ? » Son amour pour nous est tellement grand, qu’il ne veut pas que nous puissions l’oublier. Pour que nous gardions le souvenir de son grand amour pour nous, de tout le bien qu’il veut pour nous, de ce qu’il a souffert pour nous, il nous a laissé le sacrement de sa présence.
C’est pour cela que l’eucharistie quotidienne est si importante dans la vie d’une moniale : elle la ramène au lieu même où elle a fait profession de vivre, à la communion avec le Seigneur à qui elle a donné sa vie.
Mais le Seigneur a fait encore davantage : il a trouvé le moyen de demeurer toujours en notre compagnie, par sa présence dans le tabernacle de la chapelle. C’est en sa présence que nous célébrons l’office, plusieurs fois par jour. C’est devant lui, dans un face à face en quelque sorte, que nous pouvons prier en silence. Un échange véritable a lieu aussi, dans l’adoration de son Corps, lors des expositions du Saint-Sacrement. Nos yeux de chair regardent le Corps eucharistique du Christ. En échange, le Verbe purifie les yeux de notre cœur pour que nous puissions le voir davantage par une foi aimante et qu’ainsi, notre désir de le voir un jour face à face grandisse. D’où le progrès dans la foi, l’espérance et la charité, que favorise l’adoration eucharistique.

28 mai

Une vie dans le silence

Une moniale dominicaine a une vocation au silence dans un Ordre voué à la prédication. Elle est appelée à communiquer avec Dieu et avec tous en Dieu, dans le silence.
Pour réaliser sa vocation, elle se retire du monde. Ce retrait est caractérisé par la clôture et le silence. Être retirée du monde, c’est n’être occupée que du Royaume de Dieu. Plus qu’un départ loin des hommes, il s’agit de fuir ce qui détourne de la seule occupation du Royaume. Le détachement du monde n’est pas une originalité des moniales ; il est essentiel à toute vie chrétienne, comme le rappelle saint Paul : « Que ceux qui usent de ce monde soient comme n’en usant pas ; car elle passe la figure de ce monde » (1 Co 7,26-31).
La vie cachée permet le loisir, le repos ; elle permet de s’asseoir comme Marie aux pieds de Jésus, de s’associer, par la foi, au mystère du Christ ressuscité. Elle inclut pour cela tout un programme de renoncement au monde et de recherche de Dieu. Pourquoi mener une vie cachée, loin de la vie publique ? Pour trouver la vraie patrie, celle du ciel. La vie cachée annonce le bonheur qui est promis à tout homme : vivre du Christ.
La vie monastique, en effet, a toujours été considérée comme une anticipation de la vie céleste : elle est un commencement réel de la vie éternelle. Tout y est jugé par rapport à l’achèvement de toute réalité : ici-bas nous sommes en voyage vers la patrie, et le présent est en tension vers le terme. Partir dans la solitude a pour but de tendre vers la Jérusalem d’en haut, pour s’élever vers le ciel. La vie commune menée dans la solitude manifeste le programme de vie auquel nous invite l’Ascension : d’un seul cœur, être tournés vers les réalités célestes.
La vie cachée creuse le désir de la béatitude, le désir de Dieu. Elle ouvre l’intelligence à la contemplation du Mystère du salut ; elle devient communion à l’amour du Père qui a donné son Fils pour le salut du monde. Le bonheur qui est le Christ, est source de communion.
Choisir un type de vie qui comporte une clôture, entraîne un certain nombre de ruptures par rapport à la vie antérieure. C’est comme un signe visible de l’absolu de Dieu. La clôture réalise un retrait du monde pour créer un espace de silence et de solitude qui permet de suivre Jésus se retirant au désert pour prier son Père. Le cri de Dominique retentit avec force dans le cœur des moniales : « Que vont devenir les pécheurs ? »

22 mai

La prière, un cri vers Dieu

La prière nous ramène de la dispersion des pensées à l’attention à Dieu. Il n’y a pas besoin de longues prières. Des prières courtes et répétées sont plus efficaces, pour maintenir l’attention tendue vers le but. La prière nous garde, tout au long de la route, dans l’attitude de celui qui sait que tout est don.
Lorsque nous sommes descendus au fond de notre misère, un cri du cœur jaillit vers Dieu, un appel au secours, semblable à ceux que l’on trouve dans les psaumes : « Des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur ; écoute mon appel. » Ce que nous avons fui, devient la perle précieuse. Ce qui était source de honte devient source d’action de grâces, le lieu où Dieu vient habiter. Placés face à nous-mêmes, nous crions vers Dieu qui, seul, peut nous sauver. Le cœur, piqué par l’épine de la souffrance, se remplit de componction : des larmes jaillissent. Crier vers Dieu nous place dans une situation de mendiant à son égard et lui-même répondra. C’est face à Dieu que nous découvrons la profondeur de notre cœur ; en lui ouvrant notre être. Cela n’a rien à voir avec la culpabilisation qui nous place au niveau de nos actes : nous sommes dépités de voir qu’ils n’ont pas correspondu à nos désirs.
La souffrance de découvrir notre impuissance devant Dieu, quant à elle, apaise ; car alors dans le creux de notre être, se noue une relation de confiance avec le Dieu dont nous sommes dépendants.
Une fois cette relation rétablie, commence la vraie prière. Le regard de compassion de Dieu peut enfin rejoindre le fond de notre détresse, lorsque nous renonçons à nous suffire. L’orientation du cœur vers Dieu est retrouvée. Nous prenons l’habitude de crier vers lui en toute circonstance ; nous lui abandonnons tous nos projets, la conduite de toute notre vie.
Mais cette expérience est toujours à refaire, car mille tentations vont nous pousser à rebrousser chemin. Comment garder toujours ce dynamisme qui nous tire vers le haut ? Il est difficile de garder un continuel souvenir de Dieu. Tout, pourtant, dans notre vie, est ordonné à faire grandir cette union d’esprit et de cœur avec lui. C’est particulièrement vrai de l’eucharistie et de l’office divin, de la lecture et de la méditation des livres saints, des prières silencieuses, de l’intercession.
Y contribuent aussi le silence et le « repos », c’est-à-dire une vie où plus rien ne fait obstacle à la prière, où le cœur est libéré de tous les soucis et sollicitudes du monde.
Ce souvenir de Dieu, c’est le souvenir du Christ, la présence du Christ dans le cœur. Or, nous dit saint Paul, c’est dans l’Incarnation et la croix, que se sont le mieux manifestées les dispositions intimes du Christ. Notre vie cachée est ainsi entièrement orientée vers la recherche de la Face de Dieu.

14 mai

La tentation

La tentation est une sollicitation extérieure à nous-mêmes qui nous indique le chemin du mal, pour nous y fourvoyer. Elle nous conduit donc au péché, si nous y succombons ; elle est source d’une croissance dans l’amour, si nous lui résistons.
La tentation peut avoir trois causes : le monde, la convoitise, le diable.
Le « monde » prend des formes très diverses. Ce peut être la pression de l’opinion publique, des slogans qui rentrent même dans un monastère. Pour résister aux tentations du monde, il est nécessaire de commencer par acquérir une grande liberté par rapport au regard des autres, dans la vie de tous les jours. La conscience devient ainsi autonome.
La convoitise, autre source de tentation, est en nous : « Chacun est éprouvé par sa propre convoitise qui l’attire et le leurre. Puis la convoitise, ayant conçu, donne naissance au péché, et le péché, parvenu à son terme, enfante la mort » (Jc 1,14-15).
La convoitise nous incite à pécher en préférant une satisfaction immédiate à l’amour de Dieu et du prochain. Elle prend le plus souvent la forme d’une pensée mauvaise qui susurre à notre oreille : « Si tu faisais cela ? Vois comme c’est bon, comme c’est beau ! » Sur le moment, la pensée mauvaise est attrayante : c’est l’ange de ténèbre qui se transforme en ange de lumière ! Si nous écoutons la convoitise avec une oreille complaisante, elle commence à nous enchaîner. Il n’y a plus qu’un pas à faire pour consentir à sa proposition et pécher. Lorsque cela se répète, des habitudes mauvaises se mettent en place, les vices que nous avons rencontrés.
Dans un monde qui se déchristianise, le diable réapparaît à visage découvert, si l’on peut dire. Il est la troisième source de tentation. Pendant des siècles, le christianisme a imprégné la culture, l’inconscient collectif, les valeurs sociales de l’Occident. Mais depuis quelques décades, on constate un goût pour le religieux, accompagné d’une recrudescence de formes de magie et de sorcellerie de toute sorte. Des milieux fort divers sont touchés, y compris des monastères, même si c’est assez rare. Comme le disait Benoît XVI : « Parmi les causes de la diffusion de la magie, il faut en effet compter un grave manque d’évangélisation qui ne permet pas aux fidèles d’assumer une attitude critique devant des propositions qui ne représentent qu’un succédané du sens religieux véritable et une triste mystification du contenu authentique de la foi. »

8 mai

L'épreuve

Certaines embûches, présentes sur notre parcours spirituel, l’étaient déjà sur le chemin du Peuple d’Israël et se retrouvent tout au long de la Bible ; ce sont l’épreuve et la tentation. Nous avons déjà rencontré les épreuves, mais il est temps de dire plus précisément ce qu’elles sont.
Il existe inévitablement des difficultés sur notre route : un projet anéanti, la maladie, l’échec, etc. Personne ne peut les éviter et, dans un premier temps, nous avons l’impression qu’une catastrophe est arrivée. Mais tout cela peut se muer en ce que les auteurs spirituels appellent, à la suite de l’Ecriture, des « épreuves ». Les difficultés prennent alors une valeur spirituelle. C’est ce que le Seigneur a expliqué à son peuple dans le désert : « Souviens-toi de tout le chemin que le Seigneur ton Dieu t’a fait faire pendant quarante ans dans le désert, afin de t’humilier, de t’éprouver et de connaître le fond de ton cœur » (Dt 8,2).
Dans une situation sans issue, lorsque toute solution semble impossible, nous sommes tentés de prendre la fuite, de nous décourager, ou de chercher une solution en dehors de nous. La question de Job peut monter du cœur : « Dieu m’a-t-il abandonné ? » Le Seigneur est là pourtant, mais il faut accepter de descendre sans peur au fond de la souffrance qui nous frappe de plein fouet, pour l’y découvrir.
Un chemin s’ouvre alors devant nous, celui-là justement où nous n’aurions pas voulu marcher. C’est un chemin de liberté, un chemin de force, un chemin de douceur, car nous n’y marchons pas seuls. Gouffre sans fond au premier abord, la difficulté se mue ainsi en épreuve : mise à l’épreuve de notre confiance en Dieu, et preuve de notre amour pour lui.
La souffrance ressentie est regardée comme un don de Dieu. C’est une invitation à nous plonger en lui. Elle fortifie, car tout ce qui est pénible devient un lieu où Dieu élargit notre cœur à la dimension du sien. Elle est l’occasion d’une pâque, d’un passage, d’une résurrection, d’où la confiance et l’espérance sortent fortifiées.
L’épreuve peut se comparer à un pressoir : les grains de raisins y sont broyés, malaxés, défigurés, mais c’est la condition pour qu’advienne le vin. Elle est encore semblable au feu dans lequel l’or est purifié de ses scories.
L’épreuve développe en nous la confiance, la patience ; elle nous rend forts. La peur qui paralyse ou bloque, se dénoue. Des ressources insoupçonnées sont libérées. A moins que nous ayons peur du saut dans le vide et que nous préférions rester tranquillement sur la berge.

28 avril

L'obéissance pascale

Les huit vices présents en nous sont un héritage d’Adam ; ils nous attirent vers le mal. Nous péchons, lorsque nous leur donnons notre acquiescement et les mettons en œuvre par nos paroles ou nos actes. Mais le Seigneur est venu nous en guérir en se faisant homme comme nous — et pour nous — jusqu’à mourir sur une croix.
La guérison spirituelle commence par un regard porté sur le Christ, non sur son « moi ». Lui m’a aimée jusqu’à se faire semblable à moi pour me frayer un chemin de salut. Il vient faire de tout ce qui est en moi, même le mal, un chemin de vie. Et il me montre par où marcher : il suffit de contempler sa croix. Ce regard demande un complet retournement du cœur, car ce qui est vu est en quelque sorte le monde à l’envers.
Comment le Seigneur a-t-il aimé ? En prenant un chemin incompréhensible et apparemment absurde. On le frappe et il se tait ; il a raison et il ne défend pas sa doctrine ; on l’acclame et il se retire ; on le rejette et il pardonne, etc. C’est un comportement de fou ! Et pourtant cette humilité, cette miséricorde, sont les remèdes aux blessures les plus profondes de mon cœur, bien plus profondes que celles de ma psychologie. Le dos tourné à Dieu, le dos tourné aux frères, voilà la blessure du cœur. Face à la croix où se dévoile un amour sans limites, les soupçons, la colère, la jalousie, le désir d’avoir l’estime de tout le monde, le désir de plaire, apparaissent sous leur vrai jour : un obstacle à l’amour, à l’amour véritable qui est un amour tourné vers l’autre, qui pousse à donner sa vie pour ses frères !
S’abaisser, obéir, pardonner, comme le Seigneur l’a fait, devient tout à coup attirant ; non pas pour être psychologiquement équilibré, non pas pour être bien dans sa peau, non pas pour ne plus souffrir de ses blessures, non pas pour être en bonne santé, mais pour aimer celui qui nous a aimés. Comment l’aimer, sans aimer ce qu’il a aimé, le chemin qu’il a choisi ?
Il est vrai que sur ce chemin de salut, bien des blessures psychologiques sont guéries par surcroît, car le regard change. L’attitude des autres n’est plus l’occasion de faire sortir une agressivité sans retenue, de bouillir de colère, de les juger ; mais elle devient le chemin idéal pour ressembler au Seigneur, pour partager son humilité, pour porter sur eux un regard d’amour semblable au sien, pour goûter la profonde douceur qu’il y a à mettre ses pas dans les siens.
Humilité, miséricorde, pardon, ne sont plus seulement des mots : ils pénètrent jusque dans le corps en quelque sorte pour guérir tout l’être. C’est marcher sur le chemin de la vie, le chemin de la paix. (à suivre)

21 avril

Regarder vers la croix du Christ

Traverser toutes les embûches cachées au fond de son cœur sans se décourager demande une grande patience. Les épreuves abondent, en effet, provenant non seulement de l’extérieur mais aussi de l’intérieur. On peut se dire : c’est si peu de chose de se mettre en colère, de perdre patience dans la contradiction, etc., etc. ; mieux vaut vivre tranquille plutôt que de combattre sur ce qui, après tout, fait partie du quotidien de la vie et dont presque personne ne se préoccupe.
Mais l’important est de continuer le combat et, pour cela, de garder son regard sur la croix du Seigneur. Peu importe les épines du chemin, les buissons à traverser, les intempéries à supporter : marcher derrière le Seigneur qui a porté sa croix, donne le courage d’avancer en portant la sienne. Lui a enduré des calomnies, des insultes, des outrages, des coups, avec une grande patience, sans murmurer, sans se mettre en colère ; et par son comportement, il nous a montré ce que veut dire : aimer en vérité.
Alors, c’est finalement une chance de recevoir des coups, de se heurter à des paroles dures, à des refus qui nous contrarient. Sans cela, comment serait-il possible d’apprendre la charité vraie, la compassion vraie ? et aussi la vraie prière. Car, tant que le cœur se replie sur lui-même et rumine des pensées contre les autres, il ne peut être tourné vers Dieu ; il ne peut donc pas l’invoquer et le louer. La croix du Seigneur permet de se décentrer de soi, d’avoir un autre regard sur les événements qui nous touchent ; elle nous rejoint au fond de l’épreuve pour donner force et courage. Il faut la garder sans cesse devant les yeux, pour ne pas se décourager quand le combat intérieur est difficile.
La croix nous aide à tourner notre regard vers le Seigneur, au lieu de le porter sur soi. Elle apprend à aimer, au lieu de chercher à être aimé, même si l’un n’exclut pas l’autre. Le regard sur la croix permet d’associer notre combat à la passion du Seigneur, toute tournée vers l’amour de tous. Le regard sur la croix détourne l’attention de ses blessures, ce qui paralyse le combat spirituel. Il unit nos souffrances quotidiennes à celles de Jésus, et quand l’épreuve aura fait son œuvre, avoir souffert sera perçu comme une grande joie !

14 avril

Pas de mensonge

Chercher à être vrai, à être fidèle à ce que la conscience montre comme vrai, c’est l’attitude de celui qui cherche vraiment le Seigneur qui est la vérité même. C’est le contraire du mensonge. Il est pourtant nécessaire parfois de taire ce que l’on sait, avec des motivations pures, sans que ce soit un mensonge. Mais la recherche du bien d’autrui ne peut être un prétexte pour mentir.
Pourquoi en arrive-t-on à dire le contraire de ce que l’on perçoit comme vrai, à user du faux ? Les raisons sont diverses : nuire au prochain par jalousie, vengeance ou vaine gloire, est certainement la principale.
Et comment se manifeste le mensonge ? de trois manières, comme les autres vices : par pensée, par parole, par action.
La première passe par la pensée ; elle se traduit par des soupçons qui poussent à croire que tout ce qui se dit ou se fait, se rapporte à soi. Les soupçons, à leur tour, engendrent les médisances, la curiosité, les murmures, la liberté de juger et de condamner les autres. Le jugement téméraire est une façon de mentir ; il consiste à imaginer ce qui a pu pousser quelqu’un à faire ou à dire quelque chose ; il est engendré par la malveillance ou de la vaine gloire.
Le mensonge en parole, est souvent un rejeton de la vaine gloire. Celui qui veut être admiré déprécie les autres. Craignant de leur déplaire, plus que de plaire à Dieu en disant la vérité, il se laisse aller à dire ce qui lui attirera l’approbation d’autrui. Et finalement, sa parole ne sera plus crédible pour personne.
Il est encore possible de mentir par sa façon d’agir, lorsque les actes contredisent les paroles.
Quoi qu’il en soit, le menteur a un cœur double. Ses paroles ne sont pas l’écho de son être profond, il ne veut pas faire voir ce qui est fragilité et faiblesse en lui, mais il se plaît à parler de tout ce qui est sujet de gloire. Le grand moyen pour lutter contre le mensonge est de dompter sa langue, car c’est elle qui sert à le propager.

 

6 avril

La mort stimulant spirituel

La tradition monastique a beaucoup insisté sur le bienfait d’avoir la mort présente devant les yeux : « Le marchand guette la terre ferme, et le moine l’heure de la mort. » Car le souvenir de notre condition de pécheur doit aller de pair avec le souvenir de notre finitude.
La Règle de saint Benoît place ce conseil parmi les « instruments des bonnes œuvres » : « Avoir chaque jour la mort devant les yeux. » Il ne s’agit pas d’une obsession maladive, mais de la reprise de 1 Co 15, 31 : « Chaque jour, je risque la mort. » Saint Paul, comme les martyrs, avait chaque jour la mort présente devant les yeux, à cause des persécutions dont il était l’objet. Il n’avait pas besoin de se mettre la mort devant les yeux.
Pourquoi cette attitude ? Parce que cette pensée joue un rôle pédagogique. Notre vie quotidienne, en effet, est conditionnée par ce que nous espérons après la mort. Pour ceux qui n’espèrent rien, la vie sera souvent une vie de jouissance. C’est bien ce que disait saint Paul aux Corinthiens : « Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (1 Co 15,32). Les chrétiens, eux, attendent que le Seigneur réalise sa promesse de les faire vivre en lui : leur vie, dynamisée par cette attente, est un combat, une mort quotidienne, pour s’ajuster à cette vie dès maintenant.
Croire à la promesse du Seigneur donne un but à l’existence. Cela donne tout d’abord la force de porter les difficultés de l’existence, y compris ce que nous avons à souffrir de la part des autres. Tout cela est passager au regard de ce qui nous sera donné après la mort. Il ne s’agit pas de fuir la réalité, mais de la mettre à sa place, sans l’absolutiser. Avoir la mort devant les yeux, ou encore « être crucifié avec le Christ » (Ga 2,19), c’est plus qu’une force pour mettre le quotidien à sa place. C’est surtout se considérer comme mort : ne pas souffrir des injures qui nous sont faites, n’avoir ni envie ni jalousie, ne pas désirer posséder plus que ce qui est nécessaire, ne pas avoir d’orgueil. La pensée de la mort contribue ainsi à purifier le cœur, à le maintenir dans la vigilance.
Elle fait prendre conscience de la précarité de toutes choses : à chaque instant, tout peut être brisé. Et pourtant la pensée de la mort n’engendre pas le désespoir, car nous sommes plus que ce que nous avons ou faisons. Une part de nous-même transcende tout cela. La mort nous conduit ainsi à réfléchir au sens de notre vie : il est transcendant et nous sommes appelés à l’éternité. Si la mort met un terme à tout notre agir, c’est que nous sommes faits pour plus grand, pour quelque chose qui ne finit pas. (à suivre)

30 mars

La serviabilité

Comme le dit saint Paul : « la charité est serviable ». Rendre service à ses sœurs est de la plus haute importance : il l’emporte même sur la prière. Car si la sœur qui demande un service est renvoyée sans réponse, elle en sera chagrinée, tandis que le Seigneur ne s’offusquera pas si on délaisse la prière pour rendre un service à un de ses frères. Au contraire, il en sera heureux ! Surtout si c’est une sœur malade que l’on sert : dans une malade, c’est le Christ lui-même qui est servi.
Le souci que l’on prend de sa sœur est le vrai critère de la charité fraternelle, donc de la sainteté. Servir sa sœur sans penser à soi est bien le signe d’un cœur tourné vers l’autre, d’où l’égoïsme a été banni.
Nous sommes toutes membres d’un même corps, aussi ce qui est fait à l’une doit être regardé comme fait au service de toutes, sans jalousie ni critique. Chaque membre du corps travaille pour les autres, en se mettant à leur service, car tout service rendu a une portée ecclésiale. Le Seigneur, en effet, accueillait tous ceux qui se pressaient autour de lui ; il ne ménageait ni son temps ni sa peine.
Accueillir sa sœur telle qu’elle est même quand elle est difficile, croire à la possibilité de sa conversion au lieu de la repousser durement, faire tout ce qu’il est possible pour la rendre heureuse, tel est le service à rendre qui sera pour elle sacrement de l’amour du Seigneur.
Reprendre celle qui a péché est aussi un service à rendre, à condition que la charité soit à la racine de la démarche accomplie.
Mais le service ne s’arrête pas à celles avec qui l’on vit ; il s’étend au-delà de la communauté. Pourquoi ? Le Seigneur lui-même s’est fait l’ami et le frère des pauvres, et il nous a demandé de donner à ceux qui sont dans le besoin. Mais il faut le faire avec délicatesse, pour ne pas humilier celui qui le reçoit.

24 mars

L'oubli des injures

Face à une injure reçue, il faut commencer par se demander si elle ne trouve pas en nous une motivation. Dans ce cas, il y a lieu de s’en prendre à soi-même. Dans le cas contraire, le doux rend le bien pour le mal, mais cela nécessite un long travail.
Pour parvenir à cet amour désintéressé, il faut commencer par ne pas entretenir le souvenir du mal dans son cœur. Garder de l’animosité contre quelqu’un est un signe que l’on vit dans l’illusion, au plan spirituel. Le souvenir des injures, en effet, rend étranger au pardon de Dieu : en l’accordant, Dieu fait du péché qui le blesse le chemin même que prend son amour pour nous rejoindre. Il nous révèle ainsi la violence de notre cœur tout en la désamorçant et en la transformant en chemin d’espérance. Par l’apprentissage de la douceur, nous sommes invités à faire l’expérience de la miséricorde que Dieu nous donne. La douceur n’est-elle pas la mère de la miséricorde,
Celui qui oublie les injures est véritablement sur le chemin de la pénitence, de la conversion à la charité. Pour cela, le premier travail se situe, comme toujours, au niveau des pensées. L’agressivité disparaît alors peu à peu, tant dans les attitudes que dans les paroles. Elle fait place à un regard de bienveillance. Et à son sommet, la douceur trouve sa joie dans les injures ; là se trouve le lieu même où son authenticité devient visible.
La douceur n’est pas blessée par les injures. Quand elle y est confrontée, elle fait preuve de la même sérénité qu’au milieu des louanges. Elle devient ainsi un remède de prédilection pour bien des vices, tout particulièrement pour la vaine gloire, la colère et le mensonge. Car ces vices, d’une façon ou d’une autre, recherchent la louange des autres.
Un entourage éprouvant est donc un terrain de prédilection pour guérir nombre de vices. Il ne faut donc pas chercher à quitter ceux avec qui l’on vit, ou rêver d’une situation idéale. Un contexte difficile est favorable pour faire des progrès !
Conduisant à la maîtrise des passions, la douceur permet d’assumer tous les heurts qui viennent du prochain ; elle dispose à la charité fraternelle et transforme en une grande paix, le ressentiment qui accompagne la colère. Elle en fait une source de tendresse toujours jaillissante. (à suivre)

17 mars

La douceur

La douceur est une béatitude : « Heureux les doux, car ils possèderont la terre. » Le Seigneur nous en a donné lui-même l’exemple, et nous a demandé de nous mettre à son école. Il est vrai qu’il s’est mis en colère dans certaines circonstances, comme l’avaient fait avant lui Moïse, Elie, Jean-Baptiste. Mais ils s’en prenaient au péché qui sépare de Dieu, non à des torts subis.
La douceur enlève à la patience ce qu’elle pourrait avoir de raide et de tendu. Elle fait fondre la dureté du cœur pour qu’en jaillisse l’eau vive de la charité répandue par le Saint-Esprit dans notre cœur.
La douceur permet de faire face aux adversités et à tous les coups venant du prochain avec une parfaite égalité d’humeur, sans remettre en cause une attitude fondamentale d’accueil. Elle seule peut venir à bout des réactions en chaîne que produit la violence. Alors que les paroles dures renvoient l’autre à sa faiblesse et l’y enferme, la douceur lui permet d’assumer, dans le dynamisme de l’espérance, les actes commis que le tourmentent.
La vertu de douceur se met en place progressivement. Les injures est le matériau qui va lui permettre de progresser, en trois étapes. Le premier temps consiste à garder le silence : la crainte de Dieu permet de se contenir. Dans un second temps, une certaine joie est ressentie à la suite du mauvais traitement reçu : comme le mercenaire, on en espère une récompense. La troisième étape est celle de la parfaite charité qui souffre pour le frère qui s’est laissé aller à l’injure.
Le silence lui-même, mentionné dans le premier temps, connaît un progrès. Il permet tout d’abord de réfréner sa langue pour ne pas riposter. Puis il traduit la maîtrise du trouble des pensées. Il est enfin une sérénité que rien ne peut altérer.
La perfection de la douceur va de pair avec la perfection de la charité. Seul le malheur qui atteint le prochain mobilise alors l’attention, non le tort subi.
La douceur vient à bout de plusieurs vices. Elle est bien haut au-dessus de l’agitation des flots de la colère ; elle est l’appui de la patience ; elle est un principe de discernement et de lumière ; elle est la mère de la charité. (à suivre).

10 mars

La patience

Sur la croix, le Christ nous a donné un modèle de patience. Il a supporté les outrages et toutes les adversités sans une plainte, jusqu’à la mort. Sa patience est un modèle d’humilité. Pas de patience, en effet, sans humilité !
La patience est indispensable pour mener à bien la construction de la maison de l’âme à l’aide des vertus. Sans elle, l’édifice, à peine commencé, s’écroule. Grâce à elle, au contraire, le cœur fait face aux adversités dans la sérénité ; il reste en paix quoi qu’il arrive. Les chutes et les événements contraires deviennent cause de progrès, car tout tourne au profit de celui qui est patient. La patience sait attendre et découvrir dans les épreuves, à la lumière de la Parole de Dieu, un chemin de sainteté.
Au lieu de réagir face aux événements sous le coup de l’impulsivité, la patience apprend à les accueillir et à en faire un lieu de conversion. Elle sait en effet que tout peut devenir un chemin de progrès, et l’espérance emplit le regard qu’elle fait porter sur le monde extérieur. La patience traduit un équilibre, une paix intérieure. Grâce à la patience, il est possible de vaincre les vices et particulièrement la paresse, l’irritation et la tristesse.
C’est donc clair : une vie paisible et sans histoire, n’est pas une situation favorable pour apprendre la patience car, dans ces conditions, elle risque de n’être qu’illusoire. Le comportement provenant d’un caractère mou ou timide peut en effet simuler la patience, mais la moindre adversité suffit, dans ce cas, à révéler l’impatience présente dans le cœur à l’état latent.
La patience est indispensable pour construire, progresser, durer, mais elle permet aussi de faire vivre en l’autre l’espérance qui lui permettra de ne pas se décourager et de progresser. Elle devient alors longanimité et sait supporter les tracas venant du prochain, sans exiger de lui une conversion immédiate. Elle permet à l’autre d’accéder peu à peu à la persévérance, à la maîtrise de soi à travers les événements les plus quotidiens de l’existence. Le longanime comprend que l’autre ne peut être en perpétuel progrès ; il sait accepter les lenteurs. La patience s’éprouve dans l’épreuve. Si cette conviction est vraie pour soi, elle l’est aussi pour le prochain. (à suivre).

 

3 mars

Ne pas juger

Il est un précepte du Seigneur que nous prenons très souvent à la légère : « Ne jugez pas. » On pourrait le traduire ainsi, pour rejoindre le quotidien de la vie : « Ne critiquez pas. » Le Larousse définit ainsi le verbe critiquer : « Porter sur quelqu'un, quelque chose un jugement défavorable en en faisant ressortir les défauts, les erreurs, etc. ; blâmer, désapprouver, censurer, condamner. » C’est un fléau de la vie commune.
Mais pourquoi ce précepte de ne pas juger ? Parce que le jugement appartient à Dieu. Qui peut connaître la motivation de celui que l’on critique ? Qui connaît le cœur de son prochain ? Et d’ailleurs, qui connait son propre cœur ?
Juger sa sœur, c’est porter atteinte à sa réputation, mais c’est aussi s’exclure de la miséricorde de Dieu. De plus, s’occuper de ce que font les autres pour les juger, c’est mettre un frein à son progrès spirituel. On mesure par là, la gravité du précepte donné par le Seigneur.
Juger sa sœur, c’est porter un jugement sur sa vie, en s’appuyant sur quelques faits. Une généralisation à toute sa vie est opérée à partir de quelques gestes, attitudes, paroles. C’est ressembler au pharisien de la parabole qui méprisait le publicain.
Il est vrai que celle qui va jusqu’au bout de l’exigence du Seigneur dans sa vie quotidienne risque de sembler manquer de jugement : elle ne se rend même pas compte de ce qui se passe ! Car ne pas juger ne consiste pas simplement à s’abstenir de critiquer et de porter des jugements, mais encore d’avoir un a priori de bienveillance à l’égard des autres. Là encore, cela pourra être taxé de mensonge : pourquoi nier l’évidence ? C’est oublier qu’il existe une sagesse supérieure : la sagesse de l’amour. Cette sagesse fuit comme la peste les critiques à l’égard du prochain.
La charité, en effet, excuse tout ; elle souffre de tout ce qui porte atteinte à la réputation des autres, les enferme dans un jugement, les fige à tout jamais dans une attitude, sans remarquer leurs progrès. Car pourquoi juger sa sœur ? Pour se donner soi-même comme le modèle de la vie spirituelle authentique, de la vraie moniale ? Il est un remède très efficace pour ne pas juger sa sœur : s’accuser soi-même, s’occuper du vieil homme qui habite en nous. Cela peut occuper une bonne partie de la journée ! (à suivre)

25 février

L’humilité


« Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. » L’humilité est la vertu spécifique du chrétien, car elle rend semblable au Christ qui s’est humilié jusqu’à la mort et à la mort de la croix. Elle donne à toutes les autres vertus leur caractère chrétien, elle les soude entre elles, en quelque sorte, pour en faire un édifice solide. Il faut remarquer que c’est la seule vertu que le diable ne sache pas singer : elle met donc à l’abri de toute illusion spirituelle.
Par l’humilité, nous nous situons à notre juste place devant Dieu ; nous reconnaissons que tout nous vient de lui, qu’il est la source de tout le bien que nous faisons. L’humilité se répercute dans nos relations avec les autres. Elle est le principal remède à la colère, à la vaine gloire et à l’orgueil. Ainsi celui qui est humble ne s’irrite pas et n’irrite pas les autres, parce que son cœur est occupé de Dieu et non de lui-même.
Mais qu’est-ce que l’humilité ? Plutôt que d’en connaître la définition, il est important de reconnaître les signes qui manifestent sa présence. L’humble est ajusté à lui-même, il fait la vérité sur lui, il s’abaisse ; il supporte le mépris, il ne se met pas en avant et il est prêt à reconnaître ses torts ; l’humble se garde comme de la peste de la recherche des honneurs, il ne fait pas acception des personnes, il apprend à garder le silence, il vit dans la paix et le repos ; il renonce à toute estime de lui-même, il sait garder le juste milieu entre un abaissement excessif et une exaltation démesurée.
L’humilité garde de la dépression sous les coups inévitables de la vie, car elle fait vivre dans la profondeur de soi-même, là où les tempêtes de l’existence ne peuvent faire de remous ; elle protège du désespoir où conduit un abaissement non assumé en Dieu. Elle nous apprend à décharger sur Dieu toutes nos inquiétudes et à renoncer à ce que les choses soient selon notre désir. Elle nous fait rechercher en Dieu notre consolation dans les difficultés. N’est-ce pas lui qui conduit notre vie ? Elle est comme le gouvernail qui permet à notre bateau de garder la direction du port. (à suivre).

18 février

L’amour du bien commun

La présence de la charité se reconnaît à des signes. Il en est un qui vient en tête dans la vie commune : préférer le bien commun à son bien propre. En effet, un choix est à faire à chaque instant : soit la voie du repli sur soi qui dessèche la vie spirituelle, soit la voie du don de soi qui est la voie de la sainteté.
Notre tendance naturelle est égoïste : satisfaire ses goûts et ses besoins, chercher à réaliser ses désirs personnels, être accaparé par ses préoccupations, par ce qui nous concerne, etc. Ne pas chercher son avantage personnel est une voie de renoncement qui est source de paix. Elle est liée à la mise en commun de tout ce qui fait le quotidien de la vie. En effet, dans un monastère, nous n’avons rien en propre, mais tout est commun ; nous dépendons les unes des autres.
La journée est jalonnée d’occasions qui nous invitent à renoncer à notre propre intérêt, à donner notre vie pour nos sœurs, au prix d’un surcroît de fatigue parfois. La tentation est souvent forte de récupérer quelque chose pour soi seule ; de dire : c’est à moi ! J’ai bien le droit de décider ! etc. Or d’où viennent la plupart des querelles ? du fait que chacun cherche à faire prévaloir ce qui lui plaît sans s’occuper de l’autre. La charité conduit ainsi à préférer une décision prise par la communauté, plutôt que de suivre sa volonté propre, aussi excellente soit-elle. C’est un moyen très sûr pour se décentrer de soi-même.
Mais il est très difficile d’être contente de tout, d’être satisfaite de tout, de découvrir en tout la volonté de Dieu. Cela suppose d’avoir son regard fixé sur le Royaume, sur le bonheur de la patrie vers laquelle nous allons. Choisir le bien commun, c’est s’exercer à la vie dans le Royaume, c’est commencer dès maintenant à y trouver son bonheur. La vie commune est un raccourci pour y parvenir ! (à suivre).

13 février

La charité


La charité est une vertu divine, puisqu’elle est l’amour même de Dieu à l’œuvre en nous ; elle est le signe de la présence de Dieu dans notre cœur et en même temps, elle permet à cette présence de se déployer. En effet, elle nous rend semblables au Christ qui a aimé jusqu’à donner sa vie pour ses frères, et là est le signe que c’est bien la charité divine qui est en nous.
L’amour de Dieu est un feu qui nettoie peu à peu notre cœur de toutes ses scories. C’est ainsi que la charité éteint la colère, réduit l’orgueil en cendres, ouvre la main avare de ses biens, déracine la cupidité, fait trouver sa joie dans le bien de l’autre, etc. La charité met le cœur dans une attitude de don ; elle le fait passer d’un amour centré sur soi à un amour tourné vers les autres. La transformation de notre cœur par la charité, est avant tout un don de Dieu auquel nous avons à répondre par notre bonne volonté, par notre effort aussi. Nous sommes loin de la guérison psychologique qui fait courir les chrétiens oublieux de la tradition spirituelle chrétienne.
L’Ecriture nous donne des repères pour baliser notre chemin de conversion à la charité. A toutes les pages de la Bible, nous trouvons la charité en acte : l’Ecriture ne parle que de charité. C’est vrai des paroles de Jésus dans les évangiles, mais aussi de l’Ancien Testament : il nous montre la charité imparfaite de David et de bien d’autres et c’est pour nous un encouragement à ne pas nous décourager de nos faux-pas.
La charité nous tourne vers nos sœurs, et nous tourne aussi vers Dieu ; elle est le chant qui lui plaît, qui rend notre psalmodie agréable à ses oreilles. D’où l’importance de la purification de notre cœur, si nous voulons prier en vérité. La louange qui monte vers Dieu, c’est celle qui s’élève vers lui portée par la charité.
La charité est le meilleur remède pour guérir toutes les maladies de notre cœur et son efficacité est renforcée par les autres vertus qui sont en fait de multiples facettes de cette même charité. C’est sur elles que nous allons nous pencher maintenant. (à suivre).

7 février

Le désir

Avant de nous arrêter sur les principales vertus, il faut revenir sur le désir, moteur de notre vie spirituelle.
Nous avons un désir de bonheur inscrit au plus profond de nous-mêmes ; concrètement, il se traduit par de multiples désirs qui se succèdent et s'entrechoquent tout en laissant le plus souvent un arrière-goût d'insatisfaction : aucun ne peu combler.
Dans la vie monastique, les désirs les plus légitimes n’ont plus cours : un travail qui épanouit, un bon salaire, des relations agréables, un engagement où l’on met le meilleur de soi-même, etc. Comme il n’est pas possible de vivre sans désirs, le désir risque alors de s’accrocher là où il peut. Ce sera un emploi qui devient comme une propriété privée, une charge où l'on s'investit totalement, une collection de souvenirs auxquels on tient comme à la prunelle de ses yeux, et mille autres broutilles. Si l'on n'y prend garde, tout cela finit par détourner le désir de ce qui a fait quitter beaucoup de choses : Dieu. Et alors les vertus n’ont plus grand intérêt. Seul l’amour du Christ, le désir de lui ressembler, peut motiver suffisamment pour se mettre à cultiver les vertus avec constance.
Une simple question permet de savoir où l’on en est : qu'est-ce qui me rend triste si je le perds ? Qu’est-ce qui me donne de la joie quand je le possède ? Il faut reconnaître que les vertus ne sont pas tous les jours cause d’une grande joie : elles sont incompatibles avec nombre de nos habitudes. Et pourtant, le progrès dans les vertus est le travail quotidien qui permet de ne pas dévier, qui garde à la vie de tous les jours la plus banale son goût de bonheur et sa joie sereine.
Un exemple tout simple et qui se reproduit bien souvent. Je rencontre une sœur qui a l’art de m’exaspérer. Je peux détourner mon chemin pour ne pas la rencontrer, ou je peux me réjouir d’avoir l’occasion de pratiquer la patience pour apprendre à aimer. Mais la patience est-elle pour moi un bien plus important que mes antipathies et mes sympathies ?
Pour aimer les vertus et y accrocher son désir, il faut commencer par les connaître, les trouver belles et bonnes. C’est ce qu’il nous faut découvrir maintenant. (à suivre).

30 janvier

Les vertus, remèdes pour les vices

Il en est de notre cœur comme d'un jardin. Il ne sert à rien d'en enlever les mauvaises herbes, les vices, si l'on ne sème pas en même temps les bonnes graines, les vertus. Les vertus sont des remèdes pour guérir de nos vices, parce qu'elles mettent en œuvre l'attitude contraire aux pensées mauvaises que génèrent les vices. Quelques exemples : le support des injures, comme l'on dit dans le jargon monastique, est un excellent remède à la vaine gloire ; se réjouir des qualités de la voisine, contrecarre la jalousie ; etc. La pratique des vertus guérit même l'inconscient car, aux pensées émanant des vices, succèdent de bonnes pensées émanant des vertus. Et, par voie de conséquence, le vacarme assourdissant du cœur est remplacé par une sérénité à toute épreuve.
Dans un monastère, on apprend la théologie morale et donc les vertus, mais leur connaissance purement théorique ne conduit pas forcément à leur croissance. Sans travaux pratiques, la vie spirituelle stagne. Or nous n'avons de zèle que pour ce qui est l'objet de nos désirs ; il est donc indispensable d'être attirées par les vertus dans un élan vital, de les aimer.
Cela suppose que notre attrait le plus profond se porte vers le Christ, lui qui a souffert et qui est mort pour nous conduire vers le Père, pour nous rendre enfants du Père. Alors seulement, nous désirerons mettre nos pas dans les siens, vivre comme il a vécu, devenir doux et humbles de cœur, etc. Mais pour s'attacher au Christ de tout son être, il faut renoncer à soi-même, se détacher de soi-même. Mais le principal obstacle au renoncement est de se préférer à Dieu et aux autres. Cet amour égoïste de soi, est à la racine de tous les vices.
Le fondement à poser est donc l'humilité. Sans elle, aucune vertu ne deviendra stable. L'humilité est le roc sur lequel nous pouvons bâtir l'édifice des vertus ; si les tempêtes des passions surviennent, elles ne pourront renverser notre maison intérieure. Remarquons, pour terminer, que toutes les vertus sont liées entre elles, car l'on ne peut en pratiquer une sans les autres. Tout comme dans une maison, il n'est pas possible de mettre le toit avant les murs ! (à suivre).

24 janvier

Les vices, obstacles à vie fraternelle

La découverte des maladies cachées au fond de son cœur n'est pas seulement un obstacle à la prière. Elle conduit aussi à changer son regard sur les sœurs de la communauté. Chacune a les mêmes maladies cachées dans son cœur et il est clair que la perspective de vivre toute sa vie avec elles n'est pas forcément une joie lorsque l'on en prend conscience. Mais il est une perspective complémentaire imposée par la logique : elles ont aussi beaucoup de courage de vivre avec moi !
Un des dangers de la vie monastique est de décoller de la réalité et de vivre dans une sphère spirituelle sublime où, croyant chercher Dieu, on s'exalte soi-même. La connaissance de soi ramène au réel. Elle est le creuset où la vie monastique prend forme de façon concrète; elle fait passer d'un bel idéal théorique à la réalité de tous les jours. Il est plus facile de voir les failles des autres que les siennes, ce qui fait tomber dans un piège fatal : au nom d'un idéal monastique livresque, on va se scandaliser parce que l'une ne respecte pas le silence, l'autre est enfermée dans sa bulle, une troisième est sans-gêne, etc.
La connaissance de la réalité de son cœur, sans illusion, remet les pieds sur terre et ouvre le cœur à la compassion. Les jugements portés sur les unes et les autres tombent peu à peu. C'est un chemin de conversion, de pauvreté aussi, qui commence, un apprentissage de la charité ; c'est la condition pour persévérer jusqu'au bout dans la vie communautaire. Ce chemin fait donc d'une pierre deux coups : il rapproche de Dieu par le repentir et en même temps des autres par la miséricorde.
Mais si la conversion du cœur est un don de Dieu, elle est aussi le fruit de notre travail. Elle passe par des exercices, par l'apprentissage des vertus, comme nous allons le voir. (à suivre)

14 janvier

Les vices, obstacles à la prière

L’expérience montre que la prière est le lieu par excellence où les pensées prolifèrent. Au lieu de les chasser, il faut en faire l’occasion de la rencontre de Dieu. N’est-ce pas justement le but de la prière ? Contrairement à ce que recherche le zen, le silence intérieur n’est pas une fin en soi ; l’important est de présenter à Dieu notre cœur qui a besoin d’être soigné. L'âme, en effet, est comparable à un fin duvet qui s'élève vers le ciel à la moindre brise. Mais si l'eau l'imprègne, elle colle au sol et ne peut plus s'envoler. C'est ce que font les vices : ils alourdissent l'âme en lui faisant perdre la paix. Avant de dire : Je ne sais pas prier, Dieu est absent, ou autres réflexions du même genre, il faut prêter attention au bruit que les vices font en nous et crier vers Dieu pour qu'il nous en délivre. Cela est déjà prière, car c'est se reconnaître pécheur, et demander à Dieu son secours. Chaque office liturgique commence par ce verset de psaume : « Dieu, viens à mon aide ! » Cela nous rappelle que nous avons besoin de l'aide de Dieu pour prêter attention à sa Parole dans la liturgie célébrée. Parce que les pensées que les vices soulèvent dans notre esprit, nous empêchent de l'entendre. Un jour, c'est une parole désagréable d'une sœur qui revient à l'esprit ; un autre jour, c'est un murmure qui monte dans le cœur à cause du sans-gêne d'une autre ; une autre fois, la colère bouillonne à cause d'un désir que l'obéissance empêche de réaliser ; et ainsi de suite… si bien que l'office est fini avant que l'on ait fait attention à ce que l'on disait. Quant à la prière secrète dans la cellule, elle n'échappe pas à l'assaut des vices. La Parole de Dieu n'apporte aucune joie, alors à quoi bon persévérer ? ou bien : pourquoi perdre son temps alors qu'il y aurait tellement de choses plus intéressantes à faire ? On vient dans un monastère pour chercher Dieu, pour vivre avec lui, et l'esprit voltige d'une chose à l'autre, sans se soucier de Dieu. Voilà ce que produisent les pensées provenant des vices. Et si l'on n'est pas attentive, la tentation risque de devenir grande, de partir ailleurs en accusant l'entourage d'être la cause de nos maux. Accuser l'autre semble un chemin de vérité, mais en réalité, c'est un chemin de perdition. (à suivre)

10 janvier

L'acédie

L'acédie n'est pas sans lien avec la tristesse, la dépression, le dégoût des choses de Dieu. Sa racine est un amour égoïste de soi qui s'accompagne des caractéristiques de plusieurs autres vices. Elle est liée à un sentiment de vide, à une frustration. On pourrait dire que c'est la maladie de notre époque. Celui qui est en proie à l'acédie rêve de ce qu'il n'a pas; il est dégoûté du quotidien monotone et dépourvu de sens, et il cherche à s'en évader pour y échapper. Toutes les sollicitations de la publicité attise ses désirs dans toutes les directions. Les voyages, le niveau de vie, un emploi de rêve, autant de choses qui le font vivre dans un ailleurs.
Les moniales n'échappent pas à cette maladie qui se manifeste le plus souvent vers la moitié de la vie. C'est la maladie de la cinquantaine… qui prend une forme propre dans un monastère: désir de rencontrer des gens, de s'occuper de mille affaires extérieures, de rendre visite à quelqu'un en difficulté, bref tout ce qui peut faire sortir de la clôture, échapper au silence, à l'ennui de la prière. En effet,  à quoi sert-il de passer tant de temps à prier, alors que Dieu n'attire plus? Ne serait-il pas plus utile à l'Eglise, de changer de vocation? d'aller évangéliser? de travailler pour l'écologie? Celle qui est atteinte par ce dégoût spirituel se plaint sans cesse des autres sœurs: elle les trouve remplies de défauts, dépourvues de tout sens de la vie religieuse; elles sont négligentes et peu spirituelles; la communauté n'a pas d'avenir avec des sœurs pareilles! Bref, il est impossible de faire des progrès en pareille compagnie… le mieux est donc de partir. Un pas de plus est alors franchi, et c'est l'abandon de son engagement, le changement de communauté à répétition, en quête de la communauté idéale.
Comment guérir d'une semblable maladie? En revenant dans la réalité par la persévérance dans le travail, la stabilité dans un lieu quoi qu'il en coûte. Et au plan spirituel, il est important de réorienter son désir vers Dieu, car Dieu seul peut le combler. La lecture de l'Ecriture, l'étude sont aussi des aident précieuses: la mise à contribution de l'intelligence aide à se décentrer de soi-même. (à suivre)

3 janvier

La tristesse


Il est première forme de tristesse qui, comme la joie, fait partie de notre condition humaine. On peut être triste aussi devant la lenteur de sa propre conversion, et cette tristesse est bonne. Mais il est une troisième forme de tristesse qui fait partie des vices et on la reconnaît à ses fruits. Elle s'accompagne d'un repli sur soi, d'un découragement. Elle peut conduire au désespoir et même au suicide en son extrême aboutissement, pour échapper au vide intérieur. En effet, la cause de la tristesse est en nous. Ses causes sont variées. Elle envahit le cœur lorsqu'on perd ce à quoi l'on était attaché, ou encore lorsqu'un espoir a été déçu. La colère éteinte laisse aussi de la tristesse dans le cœur. Les autres semblent parfois être cause de notre tristesse. Une sœur, par exemple, qui semble déprécier mon travail peut me rendre triste ; une autre, qui ne lance une parole blessante sans raison, peut aussi me rendre triste ; de même la déception de ne pas pouvoir réaliser un espoir qui me tenait à cœur , une humiliation, etc. Mais il ne faut pas se faire illusion: la vraie cause de la tristesse, c'est de trop tenir à des choses passagères, qui ne peuvent donc pas combler mon désir ; l'autre ne fait que me le révéler. Essayer d'éviter les personnes qui font naître la tristesse en moi peut paraître une solution, mais c'est une illusion, car c'est uniquement changer de cause. En effet, la vraie cause et au-dedans de soi.
Le remède à la tristesse est simple : un cri vers Dieu dans l'adversité. Si mon espérance est en Dieu, si ma joie est dans la vie éternelle, dans une ardente attente de voir le Seigneur et de jouir du bonheur qu'il veut me donner, alors je ne ferai même plus attention à tout ce qui peut provoquer de la tristesse. Mais il est d'autres remèdes à la tristesse : la patience, la douceur. Ne pas avoir tout tout de suite, ne pas pouvoir réaliser ses désirs, peut rendre triste, mais peut aussi fortifier la patience, la capacité de supporter l'adversité en restant ancrée en Dieu. D'ailleurs, comment progresser dans la patience, sans renoncer à tout ce qui n'est pas Dieu ? « Dieu seul », cet idéal devient peu à peu, à travers les renoncements de la vie quotidienne, une réalité qui met en fuite la tristesse. (à suivre)

 

3 janvier

La tristesse

Il est première forme de tristesse qui, comme la joie, fait partie de notre condition humaine. On peut être triste aussi devant la lenteur de sa propre conversion, et cette tristesse est bonne. Mais il est une troisième forme de tristesse qui fait partie des vices et on la reconnaît à ses fruits. Elle s'accompagne d'un repli sur soi, d'un découragement. Elle peut conduire au désespoir et même au suicide en son extrême aboutissement, pour échapper au vide intérieur. En effet, la cause de la tristesse est en nous. Ses causes sont variées. Elle envahit le cœur lorsqu'on perd ce à quoi l'on était attaché, ou encore lorsqu'un espoir a été déçu. La colère éteinte laisse aussi de la tristesse dans le cœur. Les autres semblent parfois être cause de notre tristesse. Une sœur, par exemple, qui semble déprécier mon travail peut me rendre triste ; une autre, qui ne lance une parole blessante sans raison, peut aussi me rendre triste ; de même la déception de ne pas pouvoir réaliser un espoir qui me tenait à cœur , une humiliation, etc. Mais il ne faut pas se faire illusion: la vraie cause de la tristesse, c'est de trop tenir à des choses passagères, qui ne peuvent donc pas combler mon désir ; l'autre ne fait que me le révéler. Essayer d'éviter les personnes qui font naître la tristesse en moi peut paraître une solution, mais c'est une illusion, car c'est uniquement changer de cause. En effet, la vraie cause et au-dedans de soi.
Le remède à la tristesse est simple : un cri vers Dieu dans l'adversité. Si mon espérance est en Dieu, si ma joie est dans la vie éternelle, dans une ardente attente de voir le Seigneur et de jouir du bonheur qu'il veut me donner, alors je ne ferai même plus attention à tout ce qui peut provoquer de la tristesse. Mais il est d'autres remèdes à la tristesse : la patience, la douceur. Ne pas avoir tout tout de suite, ne pas pouvoir réaliser ses désirs, peut rendre triste, mais peut aussi fortifier la patience, la capacité de supporter l'adversité en restant ancrée en Dieu. D'ailleurs, comment progresser dans la patience, sans renoncer à tout ce qui n'est pas Dieu ? « Dieu seul », cet idéal devient peu à peu, à travers les renoncements de la vie quotidienne, une réalité qui met en fuite la tristesse. (à suivre)

30 décembre

L'orgueil


L'orgueil est l'aboutissement de la vaine gloire, tout comme le papillon est l'aboutissement du ver. La forme d'orgueil la plus répandue consiste à se glorifier des dons reçus de Dieu: une belle voix, un don artistique, une large culture, des relations mondaines.
L'orgueilleux vit du regard des autres et craint en permanence d'être déprécié. Il a la hantise d'être renvoyé au manque qu'il sent au plus profond de lui-même, à ses limites. Il sait qu'il ne peut avoir une totale confiance en lui-même, sur laquelle il pourrait s'appuyer ; mais il refuse de mettre sa confiance en Dieu. Cela le conduit à mépriser le prochain qu'il rend responsable de tous ses maux, à s'élever au-dessus de lui, à ne plus supporter de recevoir de reproches de qui que ce soit. Il se croit persécuté par tout le monde, incompris et pas apprécié à sa juste valeur, au lieu de se soucier de plaire à Dieu. Extérieurement la timidité, le repli sur soi, le rire sonore, sont des façons de donner le change.
Il est un point où l'orgueil se glisse, qui est tout à fait d'actualité. Les médias, aujourd'hui, font mousser les nouvelles communautés où il y a beaucoup de jeunes, et cherchent à mettre en avant nombre de choses mondaines — une liturgie somptueuse, des dons extraordinaires, les foules qu'elles attirent, une activité commerciale florissante — pour capter l'attention de leurs lecteurs ou auditeurs. Les communautés vieillissantes de moniales, qui ont vécu dans la fidélité au milieu de multiples épreuves, ne présentent pas grand intérêt de ce point de vue. Qui s'en soucie?
Les premières sont tentées de succomber à l'orgueil que font naître la gloire du nombre et de la jeunesse, sur des racines spirituelles encore fragiles. Les secondes ne sont pas à l'abri de tout danger, bien que le risque soit inverse. La tentation est grande de se lamenter sur leur petit nombre et sur l'âge avancé. Dans les deux cas, la maladie en cause est la même: l'orgueil, qui fait trouver sa gloire dans ses richesses, ou conduit, au contraire, à se décourager de sa pauvreté. Le résultat aussi est le même: la pureté du cœur est en fuite. (à suivre)

23 décembre

La vaine gloire

La vaine gloire se caractérise par une estime de soi qui dépasse une saine perception du réel. Le vaniteux est toujours occupé à savoir si l'estime des autres est à la hauteur de celle qu'il se porte. Il s'inquiète peu du regard de Dieu, même s'il semble faire le bien pour le servir. Il cherche la gloire qui vient des hommes et non pas celle qui vient de Dieu.
La plupart des vices se démasquent facilement par leur effet mauvais, la vaine gloire au contraire se mêle aux actes les plus divers, et pour commencer aux biens visibles. Elle prend d'abord pour cible tout ce qui peut donner à quelqu'un un «plus» par rapport aux autres: l'avoir, le pouvoir, les qualités naturelles. Elle est beaucoup plus insidieuse que les autres vices, car elle se mêle aussi aux biens invisibles que sont les vertus: elle cherche à les détruire. Elle pousse le vaniteux à en reporter la valeur à ses propres mérites et à en majorer l'importance à ses propres yeux. Or elles sont don de Dieu.
La vaine gloire peut prendre l'apparence d'une vertu. Ainsi, contrairement aux autres vices, elle peut être un stimulant pour les commençants car les bonnes habitudes prises sous l'effet de la vaine gloire sont un acquis! Elle est toujours prête à retrouver sa vigueur quand le combat l'a affaiblie: elle change seulement son point d'attaque, car tout est bon pour elle.
Le vaniteux aime à être vu des hommes, à susciter l'admiration. Il faut donc se méfier des louanges comme de la peste, car elles mettent donc toujours en danger. La vaine gloire fait vivre dans l'imaginaire, dans le rêve; les idées de grandeur ou les chimères remplacent la réalité. Elle s'accompagne souvent de la jalousie: le vaniteux supporte difficilement que l'autre ait quelque chose qu'il n'a pas lui-même. Il s'attriste du bonheur de l'autre et en devient envieux.
Comment venir à bout de ce vice récalcitrant et chronique? En mettant sa délectation dans le bonheur promis par Dieu et qui est goûté dans la prière. Le remède le plus efficace est le désir de passer inaperçu, l'amour de ce pour quoi les autres n'ont guère d'estime. Comme ce combat ne se termine qu'au moment de la mort, une constante vigilance est nécessaire.

17 décembre

La colère

La colère est un vice très répandu. Elle peut être bonne quand nous l'exerçons pour lutter contre nos mauvaises tendances. La plupart du temps, pourtant, il faut le reconnaître, la colère est un vice. Mais il est si généralisé, que tout le monde finit par s'y habituer, malgré les mises en garde si fréquentes de l'Ecriture. La colère commence par un remue-ménage intérieur qui se traduit par des paroles, puis par de l'agitation, des cris, des injures… En bref, elle met dans un état où l'on est incapable de se maîtriser. Elle est un vrai feu dévorant !
Comme tous les vices, la colère repose sur une illusion: croire que l'on est dans son droit, alors qu'on cherche en réalité à se faire justice. Loin de faire le bien, le coléreux satisfait sa passion de vengeance à l'égard de celui qui a commis une faute.
La lutte contre la colère se mène sur un double front: contre la colère de notre propre cœur et contre la violence présente dans le cœur de nos proches qui éveille un désir de vengeance. Elle ne vient pas du fait que l'autre se soit laissé entraîner au mal, mais de la répercussion de ce mal sur soi. La colère ne guérit donc pas le prochain de sa violence, du mal qu'il a fait, mais elle satisfait notre impatience devant ses défauts. Et le souvenir des injures que nous avons subies, des blessures reçues, entretient la colère dans notre cœur; il manifeste la présence en nous d'une colère invétérée. Or se mettre en colère, c'est perdre la pureté de cœur, aussi rien ne peut la justifier.
Les causes de la colère sont multiples. La plus fréquente vient du fait que nous aimons posséder seul, au lieu de partager. Si l'on veut nous prendre quelque chose, spontanément nous résistons. Et pourtant, en cédant ce que l'autre convoite, nous désamorçons en nous l'impulsivité de la colère et conservons la paix du cœur. La vie commune fournit mille occasions de faire cet exercice!
Le seul moyen pour guérir de la colère est de la contrecarrer en pratiquant l'humilité, la douceur. La partie est gagnée lorsque nous nous rendons compte que la cause de la colère est en nous: l'autre est seulement le révélateur du vice caché dans notre cœur. Mais nous manquons de jugement en ce domaine.

10 décembre

La gourmandise

Il est nécessaire de regarder quatre vices de plus près: la gourmandise, la colère, la vaine gloire et l'orgueil, car ils sont les plus répandus. Si on les laisse prospérer, ils dégradent peu à peu les relations avec les autres. Le premier, la gourmandise, est lié à un besoin vital du corps. Or la juste mesure dans notre relation aux aliments est chose difficile. Il faut savoir qu'un manque de tempérance en ce domaine repose sur une illusion: sous prétexte de nourrir le corps, ce qui est une nécessité, l'esprit cherche une jouissance désordonnée. La gourmandise est donc une forme d'hypocrisie.
La gourmandise prend deux formes: soit elle fait devancer l'heure des repas, soit elle fait manger avec excès. La modération doit donc servir à apprécier l'usage que nous faisons de la nourriture. Nous devons la prendre dans la mesure où elle est nécessaire pour soutenir les forces de notre cœur, sans jamais satisfaire complètement notre désir. Chacun est donc renvoyé à sa conscience pour savoir ce qu'il doit manger. Il est conseillé de prendre chaque jour une quantité raisonnable de nourriture, plutôt que de jeûner et de faire ensuite des excès. Si l'on ne s'exerce pas à maîtriser son corps, il sera difficile de lutter contre les maladies spirituelles que sont la vaine gloire, l'orgueil. La tempérance peut porter aussi sur une autre forme de gourmandise beaucoup plus dangereuse: la médisance, la colère, l'envie, la vaine gloire, toutes les passions qui portent atteinte au prochain. Il est indispensable d'allier la maîtrise de l'âme à la maîtrise du corps.
Comme tous les vices sont solidaires, la relation à la nourriture peut être perturbée par d'autres vices, comme la vaine gloire ou la colère. La vaine gloire simulera une abstinence apparente de nourriture, car céder à la gourmandise n'est pas glorieux; la colère peut provoquer boulimie ou anorexie.
La tempérance dans la nourriture n'est pas une fin en soi comme l'est le jeûne pratiqué en vue d'un bien-être, elle est orientée vers la pureté de cœur, vers la charité. (à suivre)

3 décembre

Huit vices

Pour combattre les maladies de l'âme, il est indispensable de les connaître. Il y a en effet huit vices qui sont en chacun à l’état latent, comme des germes de plantes prêts à pousser au premier arrosage. C'est d'abord la gourmandise, ou gloutonnerie; puis la luxure; l'avarice qui est l'amour de l'argent; la colère; la tristesse; l'acédie qu'on peut appeler aussi inquiétude, ou dégoût du cœur; le septième vice est la vaine gloire ou jactance; et le dernier: l'orgueil. Ces vices peuvent se répartir en deux sortes; car les uns sont naturels, comme la gourmandise, les autres ne le sont pas, comme l'avarice.
Du point de vue de leur mise en œuvre, les vices se subdivisent en quatre groupes. Certains ont besoin du support du corps, ainsi la gourmandise et la luxure; pour d'autres cela n'est pas nécessaire, comme pour l'orgueil et la vaine gloire. Certains reçoivent l'impulsion d'une cause extérieure: c'est le cas de l'avarice et de la colère, mais d'autres sont éveillés par des motions intérieures, ce qui est le cas de l'acédie et de la tristesse.
Tous les vices sont en nous, mais nous ne les mettons pas tous en œuvre en même temps. Certains sont d'ailleurs incompatibles: comment exercer en même temps la colère et la vaine gloire? La colère n'a rien de glorieux! Si tous les vices sont néfastes pour la santé de l'âme, on peut cependant faire une exception pour la vaine gloire. Elle contribue parfois à un progrès spirituel, car pratiquer une vertu par vaine gloire crée une habitude bonne et quand vient le jour pour l'âme de lutter contre la vaine gloire, l'habitude de la vertu demeure.
Les huit vices sont comme les racines d'un arbre: ils contribuent tous à la luxuriance du feuillage des passions. Notons que « passion » est pris dans son sens négatif; il ne s'agit pas des mouvements de l’appétit sensible.
Tous les vices ne présentent pas le même danger pour tous. Il y en a toujours un plus corrosif, plus violent. Si on prend la comparaison du serpent, ce vice principal est comme la tête, car c'est par la tête que vient la morsure venimeuse! (à suivre)

26 novembre

La grâce

Avant d'aller plus loin une question se pose. Que faire, lorsque l'attention aux pensées qui montent de notre cœur nous a fait découvrir les maladies de notre cœur ? Se mettre au travail ? Oui, mais comment ? Ce combat dépasse nos forces. En fait, c'est Dieu qui nous a donné de voir les impuretés de notre cœur, et c'est lui qui va le purifier. Il faut ouvrir notre cœur devant lui, sans crainte de lui déplaire, même si l'on se déplaît à soi-même, parce que c'est commencer à plaire à Dieu que de se déplaire. N'est-ce pas faire un progrès dans la vérité de ce que nous sommes ? Et le Seigneur ne peut venir guérir que ce que nous lui offrons ; il ne force pas notre cœur.
Dans un premier temps, Dieu, voyant notre bonne volonté, accourt à notre secours. Il fait tout. Un tout petit enfant n'a-t-il pas besoin que ses parents fassent tout pour lui ? Puis vient le moment où ils vont le mettre debout pour lui apprendre à marcher. De même, dans la vie spirituelle, il est indispensable que notre liberté grandisse, se fortifie. Nous apprenons ainsi peu à peu à collaborer avec le Seigneur. Mais il ne faudrait pas croire que notre volonté soit juxtaposée à la volonté de Dieu, comme deux chevaux d'un attelage. La grâce de Dieu pénètre notre volonté comme l'huile dans une éponge. Nous agissons avec sa grâce ; la grâce est source de notre agir et l'accompagne et pourtant notre agir vient pleinement de nous. Les mots sont insuffisants, pour dire comment cela est possible.
Notre Père ne refuse son soutien à personne. Si notre bonne volonté est entière, nous pourrons progresser, avec son aide, dans la purification de notre cœur qui deviendra charité : telle est la guérison qui n'est autre que la divinisation par la charité. C'est le terme d'un long combat qui allie l'effort persévérant à un grand abandon à Dieu. Nous devons reconnaître notre faiblesse et notre impuissance spirituelle, l'offrir au Seigneur et plonger dans l'abîme de l'humilité ; alors le Seigneur nous aidera. Cela peut paraître simple, mais c'est peut-être le plus difficile. (à suivre)

22 novembre 2019

Des pensées aux passions

Les pensées involontaires non maîtrisées conduisent, par un lent processus, à la passion, à l'habitude invétérée. Le combat doit donc se mener non seulement contre les vices, mais aussi contre les passions déjà installées dans notre cœur. Il est important de connaître comment se forment les passions.
Le premier mouvement naît à la vue d'un objet qui sollicite notre attention: c'est la suggestion. Par exemple, le souvenir d’une parole désagréable peut amener le trouble en suscitant cette pensée: J’ai de quoi répondre à la première occasion! Le premier embryon de la colère est là. Mais au lieu de prendre conscience que le vice de la colère est en train de se réveiller, c'est l'autre qui est mis en cause. Or l’autre n’est que le facteur déclenchant de quelque chose de beaucoup plus profond, qui rompt la relation avec Dieu et avec les autres. En réalité, le vice est en moi, ce n’est pas l’autre qui l'y met.
Si la suggestion est accueillie, si on lui donne son consentement, c’est le péché: la décision est prise de passer à l'acte. L'âme se délecte par avance de l'objet entrevu qui lui apparaît comme un bien désirable. Elle s'y porte de tout le poids de son désir, bien qu'en imagination seulement. Exemple: je dirai une parole blessante à la première occasion. Puis, lorsque le péché se renouvelle et devient une habitude, la passion s’installe… et elle est beaucoup plus difficile à déraciner qu’une pensée.
Enfin la captivité ligote le cœur. Elle est un entraînement violent et involontaire, un attachement à l'objet convoité qui présente une apparence de bien. Elle empêche tout combat contre la tentation. La captivité dissipe en quelques instants les vertus laborieusement acquises. Cela se produit, par exemple, quand un violent désir de vengeance met le trouble dans le cœur. Cependant, la gravité de la captivité varie avec les circonstances et la nature de l'objet convoité.
Il est donc nécessaire de combattre, de rejeter les pensées mauvaises dès leur apparition en nous, pour ne pas arriver à une habitude invétérée. (à suivre)

15 novembre 2019

Un médecin expérimenté


Nos pensées peuvent être bonnes ou indifférentes, provenir des vices ou encore du diable par suite d'un lien contracté; c'est la troisième catégorie qui nous intéresse ici. Les identifier est la base du combat spirituel: «II faut toujours examiner avec un sage discernement toutes les pensées qui naissent dans notre cœur, disait un ancien; en découvrir tout d'abord la source et la cause; et reconnaître de qui elles viennent, afin de nous conduire à leur égard selon le mérite de ceux qui les inspirent.» Pour ne pas errer sans fin, il faut l'aide d'un médecin expérimenté. Mais comment reconnaître si un médecin est habile et compétent?
La connaissance des chemins de guérison du cœur se puise dans une vie d’intimité profonde avec le Christ. Impossible de connaître ce qu’il y a dans le cœur de l’homme, sans être descendu dans les profondeur du sien. Il est alors possible de conseiller les autres, de comprendre quel combat se livre chez celui qui demande conseil, sans avoir reçu de confidences de sa part, et avant même qu'il en ait pris conscience. Un tel guide apprendra au commençant à connaître, non seulement les maladies déclarées, mais celles qui viendront plus tard. Ceci est rassurant: les maladies qui logent dans les replis de notre cœur sont communes à tous, puisque quelqu'un d'autre que soi en a connaissance; elles sont universelles et ne sont pas une tare personnelle. Un médecin expérimenté est solidaire de ceux qui lui demandent conseil; aussi, loin de se sentir jugé, le débutant perçoit qu'il est compris de l'intérieur et il éprouvera même de la joie à découvrir les maladies secrètes de son cœur. Il se met au travail d'un cœur joyeux. Les paroles de son «médecin» lui apprennent peu à peu à prévoir, à lutter et à vaincre.
Cette science prend du temps pour être maîtrisée. Aussi le plus urgent est de contenir les pensées quand elles envahissent notre esprit, de leur résister dès leur apparition et d'essayer de les rejeter au plus vite. Si l'on enferme un serpent, ou un scorpion, dans un vase qu'on a soin de bien boucher, avec le temps l'animal meurt. Il en est de même des pensées mauvaises; si on garde patience, on a la consolation de les voir cesser. (à suivre)

8 novembre 2019

Interroger les pensées

Nous poursuivons notre chemin, dans la découverte du combat quotidien à livrer contre les pensées qui font obstacle à la charité. Nous avons vu que les pensées sont les messagères d'un cœur malade. Il est donc de la plus haute importance de les interroger pour décrypter leur message. Nous ne sommes pas entraînées par elles, comme si nous n'étions pas libres à leur égard. Elles montent en nous, mais ne sont pas nous. Il faut dialoguer avec elles comme avec un étranger qui se présente à la porte: Venez-vous de Dieu ou de l’ennemi? Cela permet de prendre de la distance à leur égard et de pouvoir les combattre. «Les anciens disaient: "A toute pensée qui survient en toi, dis: es-tu des nôtres, ou viens-tu des ennemis?" (Jos 5,13) et certainement elle l'avouera.»
Cette démarche ouvre une brèche dans le repli sur soi, elle met en fuite la peur de soi-même; car lorsque un flot de pensées monte en soi le premier mouvement est de les fuir. Or il faut les regarder en face, capter leur contenu en les scrutant avec objectivité sans biaiser. Au premier abord, cette démarche pourrait sembler plus proche du stoïcisme que de l'abandon à Dieu. Mais elle est l'œuvre de Dieu et la nôtre, inséparablement. Nous devons collaborer à l'œuvre de Dieu en utilisant tout ce qu'il nous a donné: un cœur pour discerner, pour penser. Il ne fait pas le travail à notre place. Or tout travail demande un apprentissage: il faut non seulement avoir des connaissances à son sujet, mais encore apprendre à les mettre en pratique. Qui se lancerait dans de la menuiserie sans rien avoir appris sur la question? le maniement des machines pourrait être dangereux, même si l'on a une confiance totale en Dieu! Il en est de même pour l'art de gérer ses pensées. Il est dangereux de s'y lancer sans rien savoir. Il ne faut pas nous laisser submerger par elles dans un complet désordre, en leur laissant prendre les rennes de notre conduite. Il faut prendre du recul, les voir venir de loin. Il faut leur demander si elles apportent la paix ou la guerre, qui les envoie, où elles cherchent à nous entraîner. Il faut alors, devant sa conscience, faire un choix: soit les laisser entrer en nous, soit leur fermer la porte de notre cœur, de notre adhésion. Pour cela, il faut crier vers Dieu et demander son aide. Il est tellement plus facile de suivre toutes nos envies.
(à suivre)

29 octobre 2019

Les pensée, messagères du coeur malade

La clé de la guérison du cœur réside dans l’attention aux pensées. Au lieu de les considérer comme des distractions à chasser, il faut y prêter une grande attention. Une comparaison peut aider à comprendre la relation entre les pensées et notre cœur malade. Prenons un vase contenant du parfum. L'odeur qui s'en dégage suffit à faire connaître la qualité du parfum. Il en est de même pour notre cœur: les pensées sont comme le parfum qu'il répand. Des pensées mauvaises sont le signe d'un cœur dispersé, divisé sous l'emprise des vices. Au contraire, des pensées de paix sont le signe d'un cœur pétri par les vertus, unifié en Dieu. D'où l'importance capitale d'apprendre aux jeunes à discerner la qualité de leurs pensées. En y prêtant attention, en effet, nous apprenons à connaître les vices cachés qui n'émergent pas à notre conscience et qui gangrènent notre cœur. Pour cela, il faut avoir la science du médecin qui peut découvrir les maladies, grâce aux signes qu'il découvre en interrogeant et en examinant un malade. Cette approche du cœur est aux antipodes de l'introspection ou d'une analyse psychologique. Il ne s'agit pas d'explorer ce qui est caché dans le cœur, mais de porter son attention sur ce qui en émane.
Il est donc important de discerner les pensées mauvaises le plus vite possible, mais comment les percevoir? Il faut, avant tout, faire silence. La clôture, qui fait taire les bruits extérieurs, est d'un grand secours, car le silence extérieur permet de percevoir dans le cœur un autre bruit, plus sournois. C'est le bruit provenant de nos multiples pensées. Dans un premier temps, on risque de ne rien entendre, tant nous sommes habituées à leur libre va-et-vient dans le cœur. Le plus urgent est donc de fermer la porte de son cœur, car alors on découvre les pensées qui s'y bousculent pour entrer: si les pensées sont en nous, elles ne sont pas nous; elles nous sont étrangères. Nous ne sommes pas identifiées à elles, ni entièrement déterminées par elles. D’où la possibilité de lutter contre elles. Il faut apprendre à les voir venir de loin, à se tenir dehors pour combattre. Bref, il est indispensable de prendre une distance par rapport aux pensées. Mais comment?
(A suivre)

22 octobre 2019

Les pensées

En arrivant au monastère, on fait une étrange expérience. Nous ne sommes plus encombrées par tout ce que nous avons laissé derrière nous, mais des pensées multiples prennent la place. Désirs, jugements, sentiments, raisonnements, encombrent l'esprit. L'expérience de Dieu espérée semble mise en échec et tout semble aller de mal en pis. La tentation arrive sournoisement: est-ce qu'il ne faudrait pas mieux partir?
Paradoxalement, alors que l'on cherche à rencontrer Dieu dans une grande paix du cœur, une autre rencontre a lieu: la rencontre avec soi-même. Et un constat s'impose: nous sommes malades. Ceci est vrai de chacune, si toutefois l'on consent à rester en silence quelque temps sans se fuir.
Un ancien moine explique: «Ne nous étonnons pas de nous voir plus troublés et plus agités par nos passions au commencement de notre retrait du monde que lorsque nous étions engagés dans le monde. Car il faut que les causes de nos maladies se manifestent par leur effet, pour pouvoir recouvrer ensuite une parfaite santé. Or nos passions étaient cachées, comme des bêtes farouches et nous ne les voyons pas en étant dans le monde.»
La connaissance de ce qui encombre le cœur et la tête est un élément clef de la vie spirituelle. Ce n’est pas sans raison que nous disons au début de la messe: «Je confesse à Dieu [...] et je reconnais devant mes frères que j’ai péché en pensée, en parole et par action.» Nous péchons en pensée, souvent sans le savoir. Et pourtant, chaque fois que nous péchons, c'est par une pensée que le péché prend naissance. Il est donc indispensable de découvrir les pensées qui nous agitent à notre insu. Pour cela, il faut commencer par rechercher les signes qui nous permettront d'identifier les pensées mauvaises et faire ensuite un bon diagnostic ou plus exactement, en utilisant le vocabulaire spirituel, un bon discernement. On pourra alors chercher les causes de la maladie découverte, et enfin appliquer les remèdes salutaires. C'est un long apprentissage… qui dure toute la vie.
(à suivre)

18 octobre 2019

Le trouble

Il arrive souvent dans la journée que le trouble envahisse l'esprit et le cœur. Une contrariété, une parole malheureuse entendue, une surcharge de travail, une incompréhension, et bien d'autres choses qui n'ont rien à voir les unes avec les autres, en sont la cause. Si bien qu'un trouble succède à un autre trouble et peut former une chaîne continue, tout au long de la journée. Et dans le silence du monastère, le trouble s'intensifie comme dans un haut-parleur. Là encore, la réaction la plus immédiate est de pointer les causes qui l'ont provoqué. Mais cela n'avance pas à grand-chose, car en général, notre volonté n'a pas prise sur elles. Que faire? Pour sortir de l'impasse, il est bénéfique de se souvenir de ce que disait un moine du VIe siècle: «Tout ce qui trouble ne vient pas de Dieu.» Ce sont nos pensées qui sèment le trouble dans notre cœur et dans notre esprit. Ce critère de discernement est très simple et très précieux. Le trouble est donc le signe d'une tentation, alors que les apparences semblent reporter la cause sur des événements extérieurs à nous. En fait, le trouble nous envahit parce que ces événements ont fait germer une pensée mauvaise dans notre cœur. D'où ces conseils donnés par d'anciens moines: «Lutte contre les pensées qui t'apportent le trouble.» «Toute pensée, en laquelle ne prédomine pas le calme et l'humilité, n'est pas selon Dieu. Car notre Seigneur vient avec calme, mais tout ce qui est de l'Ennemi avec trouble et mouvement de colère.» Le Seigneur vient toujours dans une brise légère et sa présence ne déchaîne jamais une tempête dans le cœur.
La cause du trouble n'est donc pas dans l'événement déclencheur, mais dans la pensée que cet événement a fait naître. Cette pensée détourne de la paix de Dieu; elle n'est donc pas bonne. C'est un premier constat, qui pourtant ne suffit pas. Il restera à bien examiner la pensée pour savoir de quelle nature elle est. Cela nécessite un long apprentissage pour ne pas se tromper.
(à suivre)

8 octobre 2019

C'est ma faute !

Si l'on fait bien attention à ses réactions dans la vie commune, telle sœur met les nerfs en boule à certains jours et laisse dans un calme complet d'autres jours. Pourquoi cette différence ? La cause est à chercher dans son propre cœur. Chacun porte en soi une tendance à la gourmandise, à la colère, à la vaine gloire, à l'orgueil, à la tristesse, au découragement, etc.; autant de maladies qui incubent tranquillement dans le cœur. Mais le plus souvent nous n'en avons pas conscience et nous ne pouvons donc pas remédier à un mal inconnu. La vie commune se trouve être une bénédiction pour dévoiler nos maux cachés et travailler à leur guérison. Un exemple entre mille. Je rencontre une sœur qui a la joie sur le visage, et moi je suis triste, la vie me pèse. Une pensée monte alors de mon cœur et y sème le trouble. Cette sœur est inconsciente, elle ne se rend pas compte que la vie est difficile, il faudrait bien qu'elle atterrisse dans la réalité, etc. Et le murmure s'installe dans le cœur. Mais on peut faire une autre lecture de la situation. Bienheureuse sœur qui se trouve sur mon passage! Elle arrose mon jardin avec l'arrosoir de sa joie et permet à la mauvaise graine de la tristesse et de la jalousie, de pousser dans mon jardin intérieur, ce qui me permet de découvrir sa présence en moi et de voir qu'elle me fait du mal. Il devient donc possible de la déraciner! Au lieu de critiquer la joie de l'autre, la joie envahit mon propre cœur, parce que je peux dire: c'est ma faute si je suis triste! Grâce à cette sœur, je peux maintenant déraciner le germe de la tristesse qui est en moi. Cet exemple montre que l'attention aux pensées qui montent du cœur est la clé qui permet de dire en toute vérité: «c'est ma faute», et de commencer à trouver le chemin de la paix. Qu'en est-il de nos pensées? Mais avant de revenir sur les pensées, il faudra se pencher sur le trouble.
(A suivre)

2 octobre 2019

Le polissage par la vie commune

On peut réaliser de magnifiques photos de la vie commune : au chœur, au réfectoire, pendant les temps de détente. Il suffit de regarder les sites des monastères : elles sont plus belles les unes que les autres.
Mais la vie commune est aussi le lieu où s'apprend l'art de la vie monastique : elle a une face cachée. Chaque sœur de la communauté, en effet, a son passé, son éducation, sa sensibilité, ses habitudes. Vivre ensemble, c'est vivre avec d'autres qui sont très différentes, quelquefois à l'opposé de ce que l'on trouve aller de soi. On peut comparer la communauté aux galets du Gave qui deviennent lisses et ronds à force d'être frottés les uns contre les autres. La vie commune est un frottement permanent.
La présence de sœurs autour de soi suscite inévitablement au quotidien des réactions dans le cœur. Tout peut y passer : la compassion, le dévouement, le service, mais aussi la colère, la jalousie, l'orgueil, la violence, le découragement, le dépit, et bien d'autres choses encore. On peut dire alors : c'est la faute de telle ou telle sœur ; chaque fois que je la rencontre, elle a l'art de dire ce qu'il ne faut pas. Ou bien : je ne peux plus supporter son désordre, elle a toujours besoin d'une bonne derrière elle, etc., etc. Inutile de dire qu'au bout de trente ou quarante ans, la vie commune devient invivable en suivant ce chemin. C'est pourtant une occasion sans pareille de laisser son galet s'arrondir ; mais cela dépend de l'attention portée aux pensées qui se bousculent dans son propre cœur. Comment ? Ce sera l'étape suivante.

24 septembre 2019

Le vrai travail

Aujourd'hui la vie des moniales est connue par les médias. Mais de quoi parlent les journalistes? De ce qui est extérieur, de ce que l'on peut filmer et qui tranche sur la vie courante. C'est donc surtout le travail qui est mis en avant: les délicieuses confitures, les chocolats, le fromage, etc. Il est vrai que la publicité faite pour leur travail, aide les moniales à vivre; elles ne sont pas des anges. Leur cadre de vie, généralement très beau, ne manque pas non plus d'attrait. Mais tout cela n'est que l'apparence. Derrière, se cache une réalité invisible aux yeux. C'est la découverte de cette face cachée de la vie des moniales que nous aimerions proposer, au fil des semaines.

Puisque le travail des moniales est ce qu'il y a de plus connu, pourquoi ne pas commencer par le travail invisible, le vrai travail de la moniale? Le lieu de ce travail, c'est le cœur, ce lieu où Dieu seul habite, ce lieu où se prennent les décisions.

Tous ceux qui approchent un monastère sont frappés par le silence qui l'entoure. Mais il est un bruit invisible, qui ne devient silence qu'après bien des années: c'est le bruit, parfois assourdissant, du cœur, dont le silence extérieur facilite la perception. Le vrai travail des moniales, c'est la pacification du cœur. C'est un art qui s'apprend et il est beaucoup plus difficile à maîtriser que la fabrication des fromages ou des confitures!

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